Il y avait, en France, au cours de ces derniers mois, sous les yeux de l'Etat et de l'homme de la rue qui l'entretenait de ses deniers, une aviation de luxe à clientèle restreinte. Songeant aux aviations populaires montées à l'étranger, l'Etat commençait à s'inquiéter. Au rythme du développement de son aviation, la France serait-elle un jour une grande nation de l'air? Plus simple, l'homme de la rue songeait : «Voler, comme ce doit être beau! Malheureusement, je ne volerai jamais!
Comme elle est belle, cette étude d'une navigation dans la stratosphère, mais je serai mort depuis longtemps quand des bolides partis du Bourget, naviguant par quinze mille mètres d'altitude, atteindront New York en quelques heures. »
L'homme de la rue, c'était un ancien pilote militaire qui, au ronflement d'un avion, sentait sous ses doigts la manette des gaz, s'enfonçait dans son fauteuil de bureau comme au poste de pilotage, ses pieds cherchant le palonnier. C'était un mécanicien qui, son temps de service terminé, pensait aux heures passées là-haut avec son patron. Là-haut, parce que lui, aux mains adroites, sur le métal et sur le bois, s'il ne savait pas piloter, il savait commander un moteur. Le pilote? Il pouvait voler quelquefois dans des centres d'entraînement. Pour lui, le mécanicien, c'était fini. Si, du moins, il pouvait construire un avion lui-même, il se débrouillerait bien pour le piloter, pour le forcer d'entrer dans le ciel. Cet homme de la rue, c'était celui qui, sans avoir volé ou riche d'un baptême, désespérait, tout en espérant qu~un jour, s'il y avait beaucoup d'avions, il s'en trouverait un pour lui. Cet homme ou cette femme, pris par son rêve, se lançait dans une propagande pour l'aviation qui, sans cela, eût semblé inexplicable. Cette violoniste de talent, elle abandonnait son concert pour faire une conférence sur la nécessité de voler; ce docteur, qui ne faisait que penser à ses malades, oubliait sa médecine, un jour, pour fonder une
association aérienne, établir ses statuts ; cet aubergiste écrivait à
l'Aéro-Club de France, demandait des photographies, des films... pour parler d'Elle, en attendant.
C'est alors que parut Henri Mignet avec son « Pou-du-Ciel ». Par lui, la fin de l'année aéronautique 1934 s'acheva sur une note nouvelle. Ce solitaire cherchait, depuis des années, à construire une machine volante pour son plaisir. Après bien des essais infructueux, il était parvenu à fabriquer de toutes pièces une avionnette « HM8 ». Mécontent d'une
oeuvre qu'il reconnaissait peu originale, il venait de trouver mieux.
Henri Mignet se définit lui-même, un amateur, c'est-à-dire un homme qui agit avec une idée de derrière la tête - les pédants diraient dans le subconscient mais qui, dans l'action, est capable d'oublier le but, pour s'intéresser seulement à son travail du moment, à la pièce que la main modèle ou
qu'elle forge et d'être heureux si elle est réussie, c'est~à-dire belle. Un des ancêtres de Mignet, avocat, passa toute sa vie à construire une horloge, pièce par pièce, faisant de chaque rouage une
oeuvre d'art. L'horloge terminée, il mourut. |
Le « Pou-du-Ciel » construit, il fallut bien voler. Mignet s'y employa de son mieux et, tout en faisant ses essais, commença d'écrire son livre, le «
Sport de l'Air », dans un style direct, concret, vivant. Au lieu de garder le secret de sa réussite afin d'en tirer profit, Mignet, l'amateur, continua de penser en amateur et, songeant
qu'il pouvait y avoir par toute la France des amateurs comme lui, se raconta et les enseigna. Le paysan des Causses, l'épicier de Bar-le-Duc, n'avaient
qu'à suivre ses conseils. Pour six mille francs, ils auraient un «Pou-du-Ciel» et voleraient, l'heure de vol ne coûterait
qu'une cinquantaine de francs.
«Les Ailes», sorte d'académie aéronautique où l'expérience passe avant la
doctrine, convièrent Mignet à voler à Orly, en présence du public, pour la première fois. Mignet vola dans la tempête.
Entre-temps, le livre de Mignet se vendait. Les acheteurs, aux quatre coins de France, se mettaient à construire, au garage, à la ferme, au château.
L'atelier d'aviation où travaillent des maîtrises de premier ordre, conseillées, guidées, cet atelier centralisé qui parvient rarement à donner à l'avion numéro deux, les qualités du numéro un, du prototype, se trouvait morcelé en une centaine d'ateliers où des fanatiques, ignorants parfois de l'aviation, ne la connaissant que par le Livre, devenaient à eux-mêmes leur bureau de calcul et de dessin, leur chef d'atelier, leur pilote d'essai. Tâtonnements, désespoirs, machines refusant de décoller et parcourant les terrains d'aviation dans tous les sens, gênant les pilotes d'avions, machines brisées! « Les Ailes», centralisant l'expérience de chaque constructeur, la communiquaient à tous, précisaient tant bien que mal centrage, réglage, commandes de l'appareil. On construisit des « Pou» dans nos colonies,
jusqu'à Tahiti, à l'étranger, en Amérique du Sud, en Italie, en Russie. Pour suivre encore de plus près le mouvement, « Les Ailes » instituèrent une homologation et, en octobre 1935, appelèrent à
Orly, en présence de la foule et des aviateurs de Paris, une dizaine de pilotes de « Pou », parmi les soixante-dix déjà
homologués. C'est ainsi que les petits appareils se révélèrent maniables et sûrs entre des mains autres que celles de Mignet que l'on était en droit de supposer très adroites. On vit même, à la demande du Ministre de l'Air, neuf « Pou », pilotés par des amateurs, voler en groupe, épreuve difficile. Le « Pou-du-Ciel » avait gagné sa cause.
Un an après le premier vol de Mignet à Orly, cent « Pou-du-Ciel » volaient; il y en avait plus de cinq cents en construction par le monde. Le « Pou » vole; il a volé bien avant que l'on ait su comment il vole. On ne le sait même pas encore. C'est un appareil de 20 à 30 CV, biplan, sans queue, dont l'aile avant est «vivante», c'est-à-dire articulée par rapport au fuselage autour d'un axe transversal. Il n'a pas de gouvernail de profondeur. C'est l'aile avant mobile qui en tient lieu. Au-dessous de la vitesse de sustentation, au lieu de la glissade ou de la vrille, danger de la plupart des avions, le « Pou » fait une descente à plat...
Extrait de «l'Aviation Civile Française» de Jean Romeyer chez J. de Gigord (1937) |